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mardi 22 octobre 2013

Coup de Coeur du Libraire - Mordred (Justine Niogret)





Je connaissais Justine Niogret pour avoir lu son premier roman, Chien du Heaume, ayant pour cadre un Moyen-Age indéterminé, réaliste et brutal sans le halo doré dont l’affublent volontiers les poncifs de la fantasy institutionnalisée. La protagoniste, femme forte amenée par les circonstances à alterner les métiers de son temps (nourrice) et de son tempérament (garde du corps), convainquait par la justesse de la description, des dialogues. J’avais été impressionné, sans m’y attendre. Depuis, deux autres romans, qui m’attendent sur ma pile à lire, ont confirmé par leur accueil tout le bien qu’il faut penser de l’auteur.

            Mordred est moins percutant, au premier abord, que Chien du Heaume, qui m’avait fait l’effet d’un coup de poing. La matière est plus fluide, mais acquiert une densité croissante à mesure qu’on lit. Tout est dans la suggestion, dans l’étalage de subjectivité. Celle de Mordred, avant tout. Ayant un peu trempé dans la légende arthurienne, je connaissais ce personnage de félon, connu pour son origine trouble (fruit des amours incestueuses d’Arthur et sa demi-sœur la Fée Morgane) et sa fin traîtreuse (ayant assassiné Arthur sur un champ de bataille, il succombera aux blessures infligées par celui-ci). Mais ici, tout est centré sur l’intériorité de Mordred, ses états d’âme, la façon dont il ressent les épreuves qu’il doit affronter et les tuiles qui lui tombent dessus. Son enfance nébuleuse, passée pour les premières années dans le giron de sa mère, entre mysticisme et pharmacopée, puis un exil à Camelot sous l’impulsion d’un « oncle » assez vague, dont les visites espacées se sont converties en une éducation forcée, pour apprendre le métier de chevalier.

            Or, Mordred excelle au métier des armes, maniant l’épée en virtuose et faisant preuve d’une ardeur à la limite de la folie. Il prend goût à la boucherie, malgré les brimades continuelles de celui qui sera, en définitive, son seul ami. Un accident de parcours, au cours d’une quête dans une grotte à l’issue de laquelle il revient mutilé au château, remet en question sa place au monde et sa raison d’être. Il mettra plus d’un an à se rétablir, lente convalescence servant de coalescence à la névrose de Mordred. Le creuset de sa psyché dérangée achève de parfaire le précipité qui aboutira, au terme du roman, à la double mort d’Arthur et de son fils illégitime.

            Mordred est à mon sens une réussite, tant le monologue intérieur de Mordred, quoiqu’extériorisé par la narration, impose à l’œuvre un rythme subtil et envoûtant. Si Chien du Heaume révélait une nouvelle voix de la fantasy francophone, Mordred consacre une écrivain parvenue à maturation, rompue au métier, maniant la plume et le clavier comme un violoniste son archet. Moins immédiat de prime abord, Mordred est un roman qui ne livre que peu à peu sa complexité, comme un nectar lentement distillé dans les alambics de la fiction.

Louis